Exposition de Benjamin Monti « Méçant garçon » Galerie Nadja Vilenne. Le rez de chaussée de la galerie est occupé par l'exposition "The Art-Shapped hole in my heart" de Charlotte Lagro.
Certes, Benjamin Monti est un « Méçant garçon », cédille comprise. Il copie sur son voisin, il découpe dans les encyclopédies de la bibliothèque, il vole les cahiers d’écolier de ses petits camarades. C’est un apprenti fort peu sage, un brin iconoclaste et qui cultive l’étrangeté. N’essayez point de le mettre au coin, il aura le culot de vous tenir tête, dissertant de la qualité des châtiments corporels et de leur diversité. Il a d’ailleurs relu toute l’œuvre de la Comtesse de Ségur, née Sophie Rostopchine, préférant les ouvrages illustrés par Horace Castelli. Il teinte sa Bibliothèque Rose d’inquiétantes noirceurs, prendrait plutôt parti pour une « Education Culturelle » façon Roland Topor et lit en cachette des ouvrages aussi attrayants que l’« Insectorum Sive Minimorum Animalium Theatrum: Olim ab Edoardo Wottono, Conrado Gesnero, Thomaque Pennio inchoatum » du physicien et naturaliste Thomas Moffet, ou aussi lumineux que « Phantasmagoria: The Secret Life of the Magic Lantern » de Mervin Heard. Il vous recommandera la lecture du « Suicides. Passionnés, historiques, bizarres et littéraires » de Romi paru chez Serg en 1964 tout comme celle de « Moi, Âne premier » tout récemment réédité par Le Tripode, une histoire en vers d’un enfant capricieux élevé par des parents trop permissifs, qui se retrouve entouré de personnages terrifiants, illustré par Antonio Rubino, le grand maître de l’illustration italienne de l’entre-deux-guerres. Benjamin Monti compulse de façon compulsive (et son métier de libraire investi auprès des petits éditeurs n’arrange pas l’affaire) et dessine, fort souvent jusqu’à plus d’heure. Son intérêt pour Barnabé Gogo ne m’étonne pas. « Un génie incompris (M. Barnabé Gogo) » dessiné par Cham fut édité en 1841 dans la fameuse « Collection des Jabot ». Les pages, qui racontent la vie d’un jeune dessinateur au talent douteux que son père pousse aveuglément dans la carrière artistique, sont truffées de dessins à la manière des enfants. Rejeté par les beaux Arts, le héros finira par devenir caricaturiste… Oui, Benjamin Monti s’intéresse aussi aux dessins d’enfants. Et on dira également de lui qu’il a « de grandes dispositions » ; c’est souvent le cas des « Méçants garçons ».
L’actuelle exposition des travaux de Benjamin Monti fait la part belle à deux séries d’œuvres, toutes deux déjà initiées en 2010 mais qui ont plus récemment trouvé leur vitesse de croisière ; celle-ci fut même quotidienne pour l’une d’elles. On connaît tout l’intérêt que l’artiste porte aux papiers imprimés et manuscrits trouvés. Déjà, il y eut l’investissement de ce cours de droit anonyme et manuscrit, plus d’une centaine de pages d’une écriture délavée sur papier quadrillé et d’une involontaire beauté plastique. À l’encre de chine, au crayon, à l’encre sympathique, Monti en a investi les marges, les zones vierges, le texte. Il y eut également ces anciens blocs de papiers « Perspecta », papiers millimétrés en deux couleurs à fins de perspectives cavalières qu’elles soient en parallèle, avec horizon en dehors du dessin, en vue isonométrique ou axonométrique dont Benjamin Monti usa comme de véritables supports pour des projections et perspectives plus mentales que physiques. Cette fois, il investit les fiches finement dessinées au crayon noir (et parfois rehaussées d’une couleur) d’un cours de biologie, des histoires naturelles et des dessins sans date tracés par une main studieuse, précise, appliquée et relativement douée, ainsi qu’un ensemble d’anciennes cartes perforées produites par la Société Anonyme « Courage – Organisation », active à Liège dès 1948. Premières « mémoires de masse » dès les origines de l’informatique, ces cartes satinées sur leurs deux faces ne pouvaient qu’intéresser Benjamin Monti.
Il est féru d’illustrations en tous genres – on l’aura compris – et son travail consiste à continuellement réorganiser un corpus encyclopédique de dessins et motifs qu’il s’approprie, recopie, interprète et subvertit, en un singulier système de pensée. Dès lors, avec courage, Benjamin Monti y réorganise son monde en un système qui n’a rien de binaire. On pourrait ici dresser une liste savante des perles bibliophiliques, des encyclopédies, des Curiosa ou des ouvrages anciens illustrés que chine et collecte Monti, ce qu’il copie avec l’agilité d’un gymnaste qui aurait délaissé la magnésie au profit de l’encre de chine, corpus dont, en un même temps, il s’affranchit au plus vite. Citer les sources serait toutefois déflorer la virginité même de chaque opus. On y reconnaîtra surtout un fonds d’images inscrit dans notre conscience collective, appartenant tant au patrimoine populaire que savant. Benjamin Monti isole ces dessins, leur assigne espace et composition, les hybride et les associent parfois comme le ferait un collagiste. Surgissent ainsi, en ce continuel recyclage, les visions et l’expression d’un monde particulier où se côtoient le réel et le merveilleux, l’onirique, l’ésotérique, l’enfantin, le populaire, le savant, l’obscur, l’absurde, l’indécent, l’insolent. Chaque dessin devient ainsi un commentaire de l’image par l’image, chacun lorsqu’on les associe, participe à de nouvelles logiques sémantiques.
Les dessins de la série « Courage – Organisation » investissent la surface lisse et claire du carton : les perforations ainsi que la numérotation en abscisse et ordonnée deviennent ainsi marges, bordures et prédelles qui rappellent la destination première, mécanographique, de ces cartes perforées. Dans le cas des feuillets de ces leçons de biologie, le jeu est évidemment autrement subtil. Monti réinterprète en ce cas le principe même du cadavre exquis, en trichant bien sûr, puisqu’il interagit avec les dessins et notes déjà tracés. A la reproduction sexuée des diatomacées, du chlorella viridis, à la croissance du Renonculus ou de l’ascaris megalocéphale, il répond par ses propres reproductions tout aussi prolifiques. Monti intègre les crayonnés, les ingère, leur réplique et tiendrait même compte, ça et là, des notices, produisant dès lors une nouvelle et surprenante encyclopédie d’histoires aussi naturelles que surnaturelles. C’est là bien plus qu’espièglerie d’un « méçant garçon ».
Jean-Michel Botquin
Exposition du 3 octobre au 31 octobre 2015. Ouvert du jeudi au samedi de 14 à 18 h. ou sur rendez-vous. Galerie Nadja Vilenne - 5, rue Commandant Marchand - b. 4000 Liège tel et fax : + 00.32.(0)4.227.19.91 - portable: + 00.32.475.90.52.26 - http://www.nadjavilenne.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire